Tchastouchki


Les tchastouchki (частушки), couplets galants, légers ou grivois, voire salaces, chantés au son de l'accordéon ou de la balalaïka, un élément à part entière du folklore russe!

Les tchastouchki (pluriel de tchastouchka, частушка, diminutif de частуха, appelée ainsi pour son rythme accéléré [частый ритм]) existent depuis des siècles et, contrairement à de nombreux autres genres, ce genre de folklore oral n'a pas perdu de son actualité: on dit ou chante des tchastouchki lors de mariages, de festivités folkloriques, de festivals ethniques, de fêtes privées ou simplement dans la vie quotidienne, en rapport avec la modernité.

Il est à noter que, grâce à leur rythme simple, ces quatrains, ordinairement chantés au son de la balalaïka ou de l'accordéon, peuvent n'avoir aucun accompagnement musical car leur signification ne réside pas dans leur rythme vif, mais dans leur paroles humoristiques caustiques, qui reflètent souvent les événements environnants. La tchastouchka, comme l'histoire drôle, réagit vivement aux changements qui surviennent en politique, en économie ou dans la morale publique. Un procédé souvent utilisé consiste à répondre à une tchastouchka par une autre, ou à les chanter en duo, ce qui est particulièrement caractéristique des chansons de la vie quotidienne: le "mari" chante son rôle, la "femme" le sien. Parfois, de telles chansons collectives aboutissaient à de véritables duels verbaux, lorsque les gens composaient dans la foulée des quatrains qui servaient de réponse aux précédents, et que la tchastouchka se transformait alors en une chanson entière composée de 50 à 100 couplets! Souvent, la composition des couplets changeait, seul le début demeurait, c'est-à-dire la première ligne.

L'origine des tchastouchki est encore controversée. Les historiens et les linguistes s'accordent sur un point: elles sont apparues récemment. La première apparition de couplets remonte au XVIIe siècle, bien que la plupart s'accordent pour dire qu'il s'agit plutôt de la deuxième moitié du XIXe siècle. Les tchastouchki ne sont mentionnées ni dans les annales ni dans les légendes, et les poètes classiques russes (Pouchkine, Nékrassov) n'ont jamais utilisé cette forme poétique et ses thèmes dans leurs œuvres, bien qu'ils aient utilisé des sujets d'épopées, de contes de fées et de croyances antiques. Même dans le dictionnaire de Dahl, on ne rencontre pas le mot tchastouchka au sens de chanson. Les tchastouchki ne font nullement écho à l'abolition du servage de 1861, en revanche les événements des années 70 s'y reflètent: les guerres russo-turque et russo-japonaise et la révolution de 1905. Pour ce qui est des poètes, il convient de noter que seuls les écrivains du XXe siècle (Blok, Essénine, Maïakovski et d'autres) ont composé certaines de leurs œuvres à la manière des tchastouchki ou en ont fait mention. Et plus surprenant encore, les tchastouchki sont apparues presque simultanément dans les régions les plus variées de la Russie: sur la Volga, dans l'Oural, à Riazan, Saratov, Novgorod et en Sibérie, et partout elles portent différents noms. En outre, du fait que de nombreux peuples vivent sur le territoire de la Russie, les tchastouchki russes se croisent souvent avec celles des autres peuples, formant une symbiose intéressante de deux langues différentes, ce qui est particulièrement visible en Bachkirie et dans les régions voisines.

Il est à noter que les tchastouchki ne sont pas seulement des quatrains, mais des sizains et même des distiques. Cependant, ces dernières sont rares et sont appelées "souffrances", inhérentes principalement à la région de Saratov, quant aux sizains, ils ne sont plus chantés nulle part, ne s'étant pas acclimatés.

La tchastouchka est une invention populaire, elle compte différents genres. Il y a les tchastouchki lyriques, les tchastouchki figurées (où des parallèles sont faits avec des symboles, par exemple avec le bouleau, le brouillard, le miel, etc.), les tchastouchki à forme proverbiale, celles qui sont dansées, et les tchastouchki de la vie quotidienne. Une rime approximative est souvent utilisée (праздникдразнит, белаябегала, etc.). Les tchastouchki utilisent souvent les gros mots et l'argot, ce qui n'est pas surprenant, car le «parler moujik» ne se distinguait pas par sa légèreté et son élégance. Mais à l'époque soviétique, de telles tchastouchki, comportant des éléments grossiers et érotiques, étaient évitées en présence des enfants.

Il est à noter que des formes poétiques apparemment oubliées ont été "ranimées" au XXIe siècle. Elles ont deux traits distinctifs: ces vers sont rarement mis en musique et ils sont écrits sans tenir compte des règles de ponctuation.

Fait intéressant, la tchastouchka a connu son développement le plus important avec le début des relations de marché en Russie, soit avec l'avènement du capitalisme. Le changement de mentalité se voit clairement dans le foklore oral: dans les chansons traditionnelles, il est question de se soumettre au destin, et, dans les tachastouchki, de le "prendre par les cornes". Il en va de même pour les attitudes patriarcales: les femmes ont plus de liberté, ont la possibilité de devenir indépendantes, ce qui a aussi rapidement affecté les paroles des tchastouchki. La tchastouchka fut sans restriction dès son apparition. Elle s'intéressait à tout, de la vie quotidienne à la politique, de l'amour à la guerre.

Toutefois, les tchastouchki étaient principalement la propriété de jeunes. Il fallait faire preuve d'imagination pour inventer un couplet dans le feu de l'action, faire montre de souplesse pour danser à un rythme endiablé, et d'endurance pour prendre part à de longues performances. De plus, les tchastouchki étaient le reflet de la volonté du peuple et, qui plus que tout autre toujours aspire au changement et à l'indépendance, sinon les jeunes? Les tchastouchki de la jeunesse ont souvent un caractère railleur: les garçons se moquent des filles et vice-versa, tous se moquent ensemble des parents ou du tsar et des fonctionnaires. Même avec l'avènement du pouvoir soviétique, la tradition resta la même, le tsar fut remplacé par un brigadier, un membre du PCUS ou un chef de kolkhoze, et la Douma remplacée par un congrès du PCUS. La tchastouchka plaisantait sur tous - pauvres et riches.
  
En URSS, le nombre de tchastouchki augmenta "à pas de géant", parce que toute la période soviétique, en particulier sa première moitié, fut extrêmement riche en événements. Il y eut même des contrefaçons de tchastouchki, exécutées à la commande. Elles furent commandées par les communistes afin de donner l'apparence du bien-être:
Прежде бабам жизнь какая 
Замужем век мучиться; 
А теперь мои три дочки 
В институтах учатся.
«Avant, les femmes, quelle vie elles avaient:
Mariées, un siècle à souffrir;
Et maintenant mes trois filles
Sont étudiantes à l'institut.»
Non seulement les deux premières lignes ne suivent pas le rythme de la tchastouchka et il est extrêmement difficile de les chanter, mais cette chanson n'est clairement pas une chanson pour les jeunes, ce qu'est une vraie tchastouchka.

Néanmoins, au début, apparurent des tchastouchki sur la guerre civile et la révolution d'Octobre, où aussi bien les «blancs» que les «rouges» étaient moqués. Ensuite, on chanta la collectivisation, la dépossession des koulaks, il y eut beaucoup de tchastouchki sur les kolkhozes. On n'hésita pas à composer des couplets sur Lénine (laudatifs ou injurieux) et Staline:
Едет Сталин на корове, 
У коровы один рог. 
Ты куда, товарищ Сталин? 
"Раскулачивать народ".
«Staline va sur une vache,
La vache n'a qu'une corne.
Où vas-tu, camarade Staline?
"Dékoulakiser le peuple".»
Et, au cours des répressions staliniennes des années 1930, les vers suivants circulaient dans le peuple:
Родился в селенье Гори 
Мне, тебе и всем на горе 
У сапожника Васо 
Трижды сукин сын Сосо.
«Dans le village de Gori est né
Pour mon malheur, le tien, et celui de tous
Chez le cordonnier Vasso
Le triple fils de pute Sosso.»

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le nombre de tchastouchki plaisantes, pour des raisons évidentes, diminua fortement. C'étaient dorénavant des tchastouchki sur les pertes, la famine, les privations, le travail dur, quasiment servile. Les plus courantes étaient les histoires de bien-aimés qui se battent "en pays étranger".

Il convient de mentionner à part les tchastouchki créées par l'intelligentsia. Leur contenu était principalement politique, satire acerbe et caustique. Pour cette raison, très peu de gens les reprenaient, car, dans les conditions du totalitarisme, on encourait la prison, l'exil ou l'exécution, et non seulement leurs auteurs, mais également leur entourage proche, ainsi que leurs interprètes. Cependant, il se trouva toujours des risque-tout:
Эх, раз, ещё раз, 
Спела бы, да что-то, 
На Гороховую, 2, 
Ехать неохота.
«Oh, une fois, encore une fois,
Je chanterais bien, mais
D'aller au 2 de la rue Gorokhovaya,
Je n'ai pas grande envie.»
À cette adresse se trouvait à Saint-Pétersbourg le bâtiment de la Tchéka, devenue par la suite le NKVD, puis le KGB.

Après la mort de Staline, c'est le nouveau Secrétaire général, Nikita Khrouchtchev, qui est le sujet de tchastouchki comiques. Contrairement à son prédécesseur, Khrouchtchev se montra plus loyal envers ce genres de "boutades" populaires:
Всё случилось шито-крыто. 
Стал вождём Хрущёв Никита. 
Сталин гнал нас на войну, 
А Хрущёвна целину. 
«Tout s'est passé ni vu ni connu.
Khrouchtchev Nikita le chef est devenu.
Staline nous a conduits à la guerre,
Et Khrouchtchev à défricher la terre.»

L'URSS connut ensuite une période de "stagnation" sous la direction de Leonid Brejnev:
Как-то Брежнев и Подгорный 
Напились вдвоём "Отборной". 
Утром встали с пьяной рожей 
Водку сделали дороже.
«Un jour Brejnev et Podgorny
Se saoulèrent à la vodka Otbornaya ("premier choix").
Au matin, ils se levèrent avec la gueule de bois
Et augmentèrent le prix de la vodka.»

Dans l'histoire soviétique, un extrême a toujours chassé l'autre. Le dernier Secrétaire général de l'URSS, Mikhaïl Gorbatchev, lança la perestroïka ("restructuration") et la glasnost ("transparence"), une "tentative de construction du socialisme à visage humain":
Перестройкамать родная, 
Хозрасчётотец родной. 
Чем родители такие, 
Лучше буду сиротой! 
«Perestroïka ("Restructuration") est notre chère mère,
Khozrastchiot ("Autonomie comptable") est notre cher père.
Plutôt que d'avoir de tels parents
Je préfère être orphelin!»

Également sous Gorbatchev, fut édictée la "loi sèche" promulguant une interdiction de la vente d'alcool. Or la loi ne fonctionna pas, le nombre de bouilleurs de cru augmenta, et les statistiques d'empoisonnement par alcool de basse qualité de même:
Под окном растёт берёза, 
В доме чай всё время пью, 
Ну никто мне не поверит, 
Что я водку не люблю!
«Un bouleau pousse sous ma fenêtre,
À la maison, je bois du thé tout le temps,
Or, personne ne veut croire
Que je n'aime pas la vodka!»

Et enfin, la dernière étape de l'histoire de l'Union soviétique: l'effondrement de l'URSS, la perte du pouvoir par les communistes. Comme des champignons après la pluie, les tchastouchki sur le Parti communiste se sont multipliées:
Мимо нашего райкома 
Я без шуток не хожу: 
То им серп в окошко суну, 
То им молот покажу.
«À côté de notre comité de district
Sérieusement je ne passe pas:
Sinon soit je vais leur balancer ma faucille par la fenêtre,
Soit je vais les pilonner avec mon marteau.»

À l'époque nouvelle, les tchastouchki des villes ont commencé à pénétrer dans les villages, servant de "nouvelles du centre", et réciproquement, comme témoignages de "l'humeur du peuple". Il y a encore dans les villages beaucoup de tchastouchki prérévolutionnaires, mais elles changent sous l'influence de l'extérieur. Si autrefois on chantait «Sans copeaux, sans feu s'est embrasé mon cœur», aujourd'hui on chantera «Sans essence, sans feu …». La simplicité même des tchastouchki favorise les auteurs pleins de ressources: on peut modeler n'importe quel sujet nouveau ou, au contraire, modifier un texte en en conservant complètement le sens original.
Les tchastouchki modernes sont très différentes de celles du siècle dernier: elles regorgent de mots et de situations modernes, bien que les expériences traduites soient intemporelles.
En raison de leur simplicité et de leur vivacité, les tchastouchki continuent de vivre une vie intense. Elles ont survécu à la pression du servage, à la censure tsariste, à la "terreur rouge", aux répressions de Staline, à plusieurs guerres, à la famine, à la censure soviétique et continuent à vivre à l'époque des technologies modernes et du monde virtuel. En fait, chaque Russe participe aujourd'hui directement à l'enrichissement du folklore oral et peut apporter sa contribution culturelle à l'histoire de la Russie!


































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