Chapka


La chapka (ша́пка, « chapeau ») ou ouchanka (уша́нка, de уши, « oreilles »), chapeau traditionnel russe en fourrure (muni de parties rabattables qui peuvent couvrir les oreilles et la nuque, ou se maintenir nouées sur le haut du chapeau)



Portée dans les pays au climat continental ou polaire comme le Canada, les États-Unis, la Russie, la Corée du Nord, en Europe de l'Est, en Scandinavie et dans les pays issus de l'Union soviétique, la chapka est devenue un phénomène de mode pour les jeunes. 
Ce couvre-chef a probablement évolué à partir de chapeaux empruntés aux Mongols durant les invasions du Moyen Âge.
La chapka fait partie de l'uniforme d'hiver des forces armées et des polices russes, finlandaises, canadiennes, ainsi que dans les unités de police de certains États américains (comme l'Alaska).
Les chapkas pouvaient autrefois être faites de peau d'ours ou de castor. Elles sont aujourd'hui typiquement faites de fourrure de lapin ou de rat musqué ; les articles de luxe se trouvent en renard, martre ou fourrure de mouton de qualité. Les dirigeants soviétiques, les apparatchiks et les personnes appartenant à une élite portaient les chapkas en fourrure de faon de renne qu'on appellait les « pijik » (пыжик).
Les modèles militaires soviétiques étaient en fourrure synthétique, que les Russes appellent par dérision « fourrure de poisson ».
En Russie, le port de l'ouchanka avec les pans rabattus sur les oreilles est considéré comme peu viril tant qu'il ne fait pas vraiment froid (à Moscou, on voit des porteurs d'ouchanka, oreilles à l'air, par -30°C) !



















La « chapka », un gâteau du Café Pouchkine



















Евтушенко, Вознесенский, Окуджава, Рождественский

Uniformes de la milice soviétique






































Девчата (1961)

Шапка (1990)




Une chat-pka !






Un article tiré du Courrier de Russie :
La chapka tire sa révérence
ANTON RAZMAKHNINE | 10 JANVIER 2020

Si la chapka fait partie, avec la bouteille de vodka et la balalaïka, des images d’Épinal attachées au Russe typique, ce couvre-chef de fourrure est aujourd’hui définitivement passé de mode en Russie.
« J’ai une chapka en lapin quelque part. Il faudrait que je fouille mes armoires. Elle est increvable : je l’ai achetée il y a près de vingt-cinq ans, et elle n’a pas bougé ! Je l’ai encore portée il y a deux ans, lors d’un hiver assez froid. Les ados se moquaient de moi dans la rue… », raconte Ilia Oboukhov, cadre moscovite de 45 ans.
Incontournable de la garde-robe des hommes soviétiques de sept à soixante-dix-sept ans, la chapka ouchanka (« chapeau à oreilles », le nom exact de ce couvre-chef, le russe chapka signifiant simplement « bonnet de fourrure ») a effectivement laissé sa place, depuis une vingtaine d’années, en particulier dans les grandes villes, à un chapeau plus moderne et moins typique, le bonnet de laine. « Aujourd’hui, dans l’esprit des jeunes, la chapka est associée à l’image du vieil ivrogne tout droit sorti des comédies soviétiques », s’amuse Ilia. Ses racines sont pourtant bien plus anciennes…
Une histoire millénaire
« J’adore porter la chapka : c’est un chapeau chaud, confortable, qui me va bien », témoigne Alexandre Aïrapetov, architecte de 35 ans,  résidant  dans  la  petite  ville  de  Taldom,  à une centaine de kilomètres au nord de Moscou. Quand il laisse pendre les « oreille s», le jeune homme à la barbe courte ressemble à un guerrier de Gengis Khan… Selon de nombreux historiens de la mode, la chapka « descendrait » du malakhaï, coiffe typique des armées mongoles, qui conquièrent la Russie au XIIIe siècle. Il s’agit d’un ample capuchon de fourrure, adapté aux grands vents froids et pénétrants des steppes. Deux incisions furent pratiquées  pour  séparer  les  rabats  des  oreilles  de celui couvrant la nuque ; une visière fut ajoutée : le treoukh (littéralement « trois oreilles ») était né.
La chapka moderne apparaît en 1934 dans la Marine.
Au XIXe siècle, chaque région de Russie en possède son modèle traditionnel : les premiers albums de photographies rassemblées par les ethnographes russes montrent toute la variété des coupes et des matières. Jusqu’à la révolution de 1917, ce chapeau est porté exclusivement par les paysans.
L’élite politique et militaire, de son côté, abandonne à la fin du XVIIe siècle la somptueuse et très haute toque de fourrure des boyards, au profit de coiffes plus pratiques. À l’aube du XXe siècle, deux modèles dominent : la papakha cosaque des militaires et le pirojok (« petit pâté ») des bureaucrates, en fourrure rase, avec un pli central au sommet.
Koltchak vs Armée rouge
La guerre civile qui suit la révolution oppose deux camps idéologiques et vestimentaires. Les troupes bolcheviques adoptent un modèle dessiné avant la révolution, pour l’armée impériale, par le peintre Viktor Vasnetsov et inspiré du casque des preux du Moyen Âge. Ce chapeau de laine pointu, couvrant les oreilles et la nuque, est sans doute l’élément le plus caractéristique de l’uniforme des soldats communistes. Il est alors rebaptisé en « boudionovka », en hommage à Boudionny, l’un des principaux chefs de la Cavalerie rouge durant la guerre civile.
Les « Blancs », et en particulier l’armée levée par l’amiral Alexandre Koltchak, s’équipent d’une coiffe inspirée de celle des explorateurs norvégiens du Grand Nord, en feutre, rappelant le treoukh. Elle porte le nom de koltchakovka, premier « chapeau à oreilles » fabriqué industriellement. Il tombe dans l’oubli après la victoire des bolcheviks.
La chapka apparaît sous sa forme actuelle en 1934. Bien adaptée aux longs quarts que les soldats doivent effectuer sur le pont des bateaux, elle est intégrée à l’uniforme de la Marine militaire soviétique. C’est à cette époque qu’elle se dote de deux petits rubans,  cousus  au  bas  des  « oreilles »  que  l’on peut soit nouer sous le menton, soit relever sur le haut de la tête. Les rubans « parachèvent » le modèle, lui conférant une apparence plus sophistiquée et plus soignée. Si la forme et la couleur – noire – sont identiques pour toute la Flotte, la matière dépend du niveau hiérarchique de son possesseur : astrakhan pour les amiraux et les capitaines, basane (une peau de mouton tannée de qualité médiocre) pour les sous-officiers et les simples matelots.
Après avoir fait ses preuves sur les mers, la chapka intègre, à partir de 1940, le paquetage de l’Armée de terre (de couleur grise « comme l’acier des armes ») et des Forces aériennes (de la teinte bleue « du ciel au couchant »). Après la Seconde Guerre mondiale, les immenses stocks des entrepôts militaires alimentent pour plusieurs décennies le marché civil. Chasseurs, pêcheurs, jardiniers du dimanche, tous les hommes russes ou presque possèdent une telogreïka – une veste de laine de coton matelassée, très chaude, empruntée elle aussi à l’uniforme militaire et également fournie aux détenus des prisons – et une ouchanka, le plus souvent grise, complètement déformée mais toujours aussi chaude.
« J’ai découvert la chapka pendant mon service militaire – et je ne quitte plus la mienne depuis, témoigne Alexeï Ouretski, 40 ans, président de l’Union des bénévoles de Russie. On n’a encore rien inventé de mieux pour passer des heures dehors par grand froid ! Mais il faut absolument qu’elle soit à la bonne taille, ce qui, à l’armée, n’était pas toujours le cas. Et, croyez-moi, il n’y a rien de pire qu’une ouchanka trop petite ! »
Sergueï Chakhidjanian, photographe de 50 ans, est moins enthousiaste. « Rabats baissés, la chapka est trop chaude pour la ville, et relevés – elle ne sert plus à rien : on a le crâne en fusion et les oreilles gelées… C’est l’armée qui m’a dégoûté de la chapka. On suait comme des bœufs là-dedans – et l’intérieur est quasi impossible à nettoyer. Je ne vous raconte pas l’odeur à la fin de l’hiver… », se souvient-il.
Dans les années 1960, la chapka symbolise l’engagement politique et le courage des « bâtisseurs du communisme ».
L’ouchanka fait jusqu’à présent partie de l’uniforme hivernal des militaires et des policiers russes. Le règlement les oblige à la porter du 11 octobre au 11 avril, mais ne les autorise à dénouer les « oreilles » que lorsque le mercure passe sous les -10°C.
Marqueur social
Les années 1960 marquent l’âge d’or de la chapka. La mode est lancée par les jeunes communistes du Komsomol, envoyés participer aux grands travaux d’aménagement des steppes de Sibérie du sud et de l’actuel Kazakhstan. De retour de ces expéditions, ils continuent de porter les chapkas reçues sur place : ces dernières symbolisent leur engagement politique et leur courage, et les distinguent des « planqués » et autres « précieux » de la capitale.
« En rentrant de ces grands chantiers, nous avions le sentiment de connaître la vraie vie, de n’avoir peur de rien ! À côté de nos ouchankas, le chapeau de feutre à l’européenne et le pirojok de fourrure sont rapidement passés pour des accessoires banals, petit-bourgeois », raconte Arkadi Ovtchinnikov, physicien aujourd’hui âgé de 81 ans.
On se met à porter la chapka avec tout, même un costume. Mais en gagnant du galon, l’ouchanka perd ses oreilles. En ville, on ne les porte plus que nouées sur le dessus, les rabats baissés restant l’attribut du « populo » en bleu de travail. Au début des années 1970, les anciens du Komsomol – devenus directeurs d’usine ou hauts fonctionnaires – se font confectionner des chapkas en rat musqué, en vison, voire, pour les plus luxueuses, en fourrure de jeune renne, réservant la zibeline à leurs épouses. Cousues, les oreilles sont généralement inamovibles.
« En 1987, j’ai fait une folie : en graissant généreusement la patte à un vendeur, j’ai pu me procurer une chapka en rat musqué, se souvient Arkadi Ovtchinnikov. Elle était moderne, légère, incroyablement confortable et très résistante… Mais l’hiver suivant, en partant pêcher avec, je me suis rendu compte que les oreilles ne se rabattaient pas : elle était totalement inutile ! J’ai donc conservé ma vieille ouchanka en lapin pour les travaux d’extérieur, et celle-ci, pour la ville. À l’époque, c’était un luxe inouï, presque une provocation… »
Partir pour mieux revenir ?
Les années 2010 sonnent le glas des « chapeaux à oreilles ». Leur dernière grande « parade » remonte à l’hiver 2006, où le thermomètre plonge sous les -20°C à Moscou.
Aujourd’hui, les jeunes préfèrent les bonnets, plus facilement personnalisables.
« Quand j’ai vu les températures, j’ai commencé par m’affoler, se remémore Robert Bridge, journaliste américain installé à Moscou depuis 1996. Puis, je me suis rappelé qu’à mon arrivée, j’avais acheté aux puces, pour le fun, une pelisse et une ouchanka de l’armée. Ça, plus une paire de valenki, les bottes de feutre traditionnelles – j’étais paré pour le froid ! »
Si la capitale russe a ensuite connu d’autres hivers rigoureux (quoique de plus en plus rarement), la hausse du pouvoir d’achat a permis aux habitants, entre-temps, de renouveler leur garde-robe, faisant un sort aux « chapkas de grands-pères ». Aujourd’hui, les jeunes optent majoritairement pour le bonnet de laine, qui, s’il ne donne quasiment plus d’indication sur le statut social de celui qu’il coiffe, permet en revanche d’affirmer sa personnalité en jouant sur les formes, les couleurs, les motifs…
« La chapka classique n’avait aucune chance de survivre à l’avènement du troisième millénaire, estime le styliste Alexandre Bielov. Tout d’abord, c’est un chapeau qui ne sied pas aux hommes minces – il faut un visage rond et large. Et puis, la chapka est assez difficile à assortir : elle ne se porte pas avec toutes les coupes de manteaux. Sans compter que le monde entier est en train de renoncer, peu à peu, à la fourrure animale… »
Pour autant, selon lui, le principe du « chapeau à oreilles » a encore de beaux jours devant lui : « La chapka finira par revenir au goût du jour, y compris en Russie, sous d’autres apparences : en laine, en fausse fourrure, multicolore… Mais j’ai bien peur que la place des vieilles ouchankas en basane ou en renne ne soit dans un musée. »